CJUE, 14 décembre 2021, V.М.А. contre Stolichna obshtina, rayon « Pancharevo », C‑490/20.
Après la Cour de cassation et la Cour européenne des droits de l'homme, c'est à la Cour de justice de l'Union européenne de se prononcer sur la circulation des actes de l'état civil établissant la filiation d'un enfant à l'égard de parents de même sexe au sein de l'Union européenne.
Nous avions présenté les conclusions de l'avocate générale dans cette affaire :
Faits
Une ressortissante bulgare s'est mariée en 2018 avec une ressortissante du Royaume‑Uni née à Gibraltar. Depuis l’année 2015, elles résident en Espagne. En décembre 2019, elles ont eu une fille qui est née et qui réside, avec ses deux parents, également en Espagne. L’acte de naissance de cette fille, délivré par les autorités espagnoles, désigne la requérante Bulgare comme « mère A » et son épouse comme « mère » de l’enfant, sans spécifier laquelle des deux femmes a donné naissance à l'enfant.
Le 29 janvier 2020, la requérante au principal a demandé aux autorités bulgares de lui délivrer un acte de naissance pour sa fille, celui‑ci étant notamment nécessaire pour la délivrance d’un document d’identité bulgare.
Sa demande de délivrance d’un acte de naissance est rejetée par les autorités bulgares au motif, notamment, que l’inscription dans un acte de naissance de deux parents de sexe féminin est contraire à l’ordre public de la Bulgarie, qui n’autorise pas les mariages entre deux personnes de même sexe.
La question préjudicielle dont est saisie la CJUE est substantiellement la suivante :
Un État membre doit-il délivrer un acte de naissance sur lequel sont inscrites deux femmes en tant que mères, dont l’une est ressortissante de cet État membre, à un enfant né dans un autre État membre où un tel acte de naissance lui a été délivré ?
Concrètement, l'Etat de la nationalité de l'enfant doit-il faire produire effet à un acte d'état civil émanant de l'Etat de la résidence de l'enfant ?
L'ordre public peut-il être invoqué pour refuser l'inscription de l'acte de naissance ?
Selon les autorités bulgares, le refus de délivrer un acte de naissance – même s’il n’a pas d’incidence juridique sur la nationalité bulgare de l’enfant concerné et, par conséquent, sur la citoyenneté de l’Union de ce dernier – serait susceptible de rendre plus difficile la délivrance d’un document d’identité bulgare et, partant, d’entraver pour cet enfant l’exercice du droit à la libre circulation et ainsi la pleine jouissance de ses droits de citoyen de l’Union. Elles saisissent donc la CJUE.
Selon la CJUE "s’agissant d’un enfant mineur, citoyen de l’Union dont l’acte de naissance délivré par les autorités compétentes de l’État membre d’accueil désigne comme ses parents deux personnes de même sexe, l’État membre dont cet enfant est ressortissant est obligé, d’une part, de lui délivrer une carte d’identité ou un passeport, sans requérir l’établissement préalable d’un acte de naissance par ses autorités nationales, ainsi que, d’autre part, de reconnaître, à l’instar de tout autre État membre, le document émanant de l’État membre d’accueil permettant audit enfant d’exercer, avec chacune de ces deux personnes, son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.
Les autorités espagnoles ont légalement établi l’existence d’un lien de filiation, biologique ou juridique, entre l'enfant et ses deux mères, et ont attesté celui-ci dans l’acte de naissance délivré pour l’enfant de ces dernières. Les mères doivent dès lors, en application de l’article 21 TFUE et de la directive 2004/38, en tant que parents d’un citoyen de l’Union mineur dont ils assurent effectivement la garde, se voir reconnaître par l’ensemble des États membres le droit d’accompagner ce dernier lors de l’exercice de son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres.
Les autorités bulgares, à l’instar des autorités de tout autre État membre, sont tenues de reconnaître ce lien de filiation aux fins de permettre à l'enfant, dès lors que celle-ci a obtenu, selon la juridiction de renvoi, la nationalité bulgare, d’exercer sans entrave, avec chacun de ses deux parents, son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, garanti à l’article 21, paragraphe 1, TFUE.
La CJUE précise qu'en l’état actuel du droit de l’Union, l’état des personnes, dont relèvent les règles relatives au mariage et à la filiation, est une matière relevant de la compétence des États membres et le droit de l’Union ne porte pas atteinte à cette compétence. Les États membres sont ainsi libres de prévoir ou non, dans leur droit national, le mariage pour des personnes de même sexe ainsi que la parentalité de ces dernières. Toutefois, dans l’exercice de cette compétence, chaque État membre doit respecter le droit de l’Union et, en particulier, les dispositions du traité FUE relatives à la liberté reconnue à tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner sur le territoire des États membres, en reconnaissant, à cette fin, l’état des personnes établi dans un autre État membre conformément au droit de celui-ci.
Elle ajoute qu'il serait contraire aux droits fondamentaux que les articles 7 et 24 de la Charte garantissent à cet enfant de priver celui-ci de la relation avec l’un de ses parents dans le cadre de l’exercice de son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ou de lui rendre l’exercice de ce droit, de fait, impossible ou excessivement difficile au motif que ses parents sont de même sexe.
Elle conclut alors qu'un enfant mineur dont la qualité de citoyen de l’Union n’est pas établie et dont l’acte de naissance délivré par les autorités compétentes d’un État membre désigne comme ses parents deux personnes de même sexe dont l’une est citoyenne de l’Union doit être considéré, par l’ensemble des États membres, comme un descendant direct de cette citoyenne de l’Union, au sens de la directive 2004/38, pour les besoins de l’exercice des droits conférés à l’article 21, paragraphe 1, TFUE et les actes de droit dérivé qui y sont relatifs.
La Cour de justice de l'Union européenne va plus loin que la simple question de la circulation des actes de l'état civil dans l'Union européenne. D'ailleurs, cette question est réglée par le Règlement (UE) n°2016/1191 (Règlement Documents)
Or, comme l'avait relevé l'avocate générale, " le règlement (UE) n°2016/1191 prévoit qu’il ne s’applique pas à la reconnaissance dans un État membre d’effets juridiques attachés au contenu de documents publics délivrés par les autorités d’un autre État membre"
Or force est de reconnaître que la filiation se prouve essentiellement par l'acte de naissance de l'enfant. Si l'acte de naissance peut circuler avec sa force probante, il prouve donc le lien de filiation.
Nous pouvons faire le parallèle avec la jurisprudence française concernant la GPA et la PMA.
La Cour de cassation précise toujours dans ces affaires, que "l'action aux fins de transcription de l’acte de naissance étranger d’un enfant n’est pas une action en reconnaissance ou en établissement de la filiation". Si la filiation peut théoriquement être contestée au fond, elle est prouvée par l'acte d'état civil établi à l'étranger. Or, la demande faite par les mères ne concernait pas l'établissement ou la contestation de la filiation, mais bien la délivrance d'un acte de l'état civil aux autorités bulgares au cours de laquelle était invoqué l'acte de naissance espagnole. L'acte de naissance espagnole prouvait bien la filiation de l'enfant, les autorités bulgares qui n'était pas saisie d'une action en reconnaissance de la filiation, devait donc la tenir pour acquise.
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