CJUE, 24 novembre 2020, Wikingerhof GmbH & Co. KG contre Booking.com BV, affaire C‑59/19
Conclusions de l'avocat général M. HENRIK SAUGMANDSGAARD ØE présentées le 10 septembre 2020
http://curia.europa.eu/juris/document/document.jsf?docid=230870&mode=req&pageIndex=1&dir=&occ=first&part=1&text=&doclang=FR&cid=15614324
En mars 2009, Wikingerhof , société de droit allemand exploitant un hôtel, a conclu avec Booking.com, société de droit néerlandais ayant son siège aux Pays-Bas et exploitant une plate‑forme de réservations d’hébergement, un contrat type fourni par cette dernière.
L’hôtel déclare avoir reçu une copie de la version 0208 des conditions générales [...] de Booking.com. Celles-ci se trouvent en ligne sur le site de Booking.com [...] L’hôtel confirme avoir lu les conditions, les avoir comprises et y souscrire. Les conditions font partie intégrante de ce contrat [...] »
Par la suite, Booking.com a modifié plusieurs fois ses conditions générales, accessibles sur l’Extranet de cette société.
Wikingerhof a contesté par écrit l’inclusion dans le contrat qui la liait à Booking.com d’une nouvelle version des conditions générales que cette dernière société avait portée à la connaissance de ses partenaires contractuels le 25 juin 2015.
Wikingerhof saisit les juges allemands pour abus de position dominante de Booking.com.
Les juges du fond allemands se déclarent incompétents. Ils considèrent que ni la compétence du tribunal du lieu d’exécution de l’obligation contractuelle, en vertu de l’article 7, point 1, du règlement n°1215/2012, ni la compétence du tribunal du lieu du fait dommageable en matière délictuelle ou quasi délictuelle, en vertu de l’article 7, point 2, de ce règlement, n’était établie en l’espèce.
La Cour fédérale de justice allemande saisit la CJUE d'une question préjudicielle :
« L’article 7, point 2, du [règlement no 1215/2012] doit-il se comprendre comme admettant que la compétence du lieu du fait dommageable peut s’appliquer en cas d’action visant à faire cesser certains agissements, s’il est possible que les agissements critiqués soient couverts par des règles contractuelles mais que la demanderesse fait valoir que ces règles reposent sur un abus de position dominante de la part de la défenderesse ? »
La CJUE dans son arrêt retient la nature délictuelle de l'action fondée sur une allégation d'abus de position dominante même si les agissements reprochés ont été mis en œuvre dans le cadre d'une relation contractuelle.
L’article 7, point 2, du règlement (UE) no 1215/2012 du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2012, concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale, doit être interprété en ce sens qu’il s’applique à une action visant à faire cesser certains agissements mis en œuvre dans le cadre de la relation contractuelle liant le demandeur au défendeur et fondée sur une allégation d’abus de position dominante commis par ce dernier, en violation du droit de la concurrence.
Pour justifier sa solution, elle précise que lorsqu’un demandeur se prévaut de l’une des options de compétence prévues à l'article 7 du Règlement de Bruxelles I bis, il est nécessaire pour la juridiction saisie de vérifier si les prétentions du demandeur sont, indépendamment de leur qualification en droit national, de nature contractuelle ou, au contraire, de nature délictuelle ou quasi délictuelle, au sens dudit règlement.
Elle considère que lorsque le demandeur invoque, dans sa requête, les règles de la responsabilité délictuelle ou quasi délictuelle, à savoir la violation d’une obligation imposée par la loi, et qu’il n’apparaît pas indispensable d’examiner le contenu du contrat conclu avec le défendeur pour apprécier le caractère licite ou illicite du comportement reproché à ce dernier, cette obligation s’imposant au défendeur indépendamment de ce contrat, la cause de l’action relève de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012.
En l'espèce, la question de droit au cœur de l’affaire au principal est celle de savoir si Booking.com a commis un abus de position dominante, au sens dudit droit de la concurrence. Or, comme l’a relevé M. l’avocat général aux points 122 et 123 de ses conclusions, pour déterminer le caractère licite ou illicite au regard de ce droit des pratiques reprochées à Booking.com, il n’est pas indispensable d’interpréter le contrat liant les parties au principal, une telle interprétation étant tout au plus nécessaire afin d’établir la matérialité desdites pratiques.
Elle en déduit donc que sous réserve d’une vérification par la juridiction de renvoi, l’action de Wikingerhof, en ce qu’elle est fondée sur l’obligation légale de s’abstenir de tout abus de position dominante, relève de la matière délictuelle ou quasi délictuelle, au sens de l’article 7, point 2, du règlement no 1215/2012.
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