Civ. 1, 15 juin 2022, n°K 21-10.742
La société française Immobilière 3F a ordonné plusieurs virements, depuis son compte ouvert à Paris auprès de la Société générale, vers un compte ouvert au Portugal dans les livres de la société Banco commercial portugues, dont les coordonnées lui avaient été transmises par une personne se faisant passer pour le chef comptable d'une société française avec laquelle elle était en relation d'affaires (fraude au changement de RIB).
Invoquant des manquements des deux banques à leurs obligations professionnelles, elle les a assignées aux fins de condamnation in solidum à lui payer une indemnité égale au montant détourné.
La banque portugaise a contesté la compétence des juridictions françaises.
En l'espèce, il s'agissait d'une action en responsabilité extra-contractuelle.
La question de la compétence relève alors du Règlement (UE) 1215/2012 Bruxelles I bis.
Sont en principe compétentes les juridictions du domicile de défendeur.
Mais le demandeur bénéficie d'une option de compétence en matière délictuelle selon l'article 7-2 du Règlement n°1215/2012 Bruxelles I bis
Une personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut être attraite dans un autre État membre
en matière délictuelle ou quasi délictuelle, devant la juridiction du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire.
Le lieu du fait dommageable s'entend notamment du lieu où le dommage se réalise.
En l'espèce il s'agissait de déterminer le lieu où le dommage se réalise lorsque ce dernier est causé par des virements bancaires entrainant un préjudice purement financier.
La Cour d'appel déclare incompétentes les juridictions françaises à l'égard de la banque portugaise.
Elle considère que le lieu où le dommage est survenu n'est pas celui à partir duquel les virements ont été opérés par la société Immobilière 3F, c'est-à-dire depuis son siège social, mais celui où a eu lieu l'appropriation indue des fonds par le débit du compte destinataire du virement, ouvert et géré au Portugal.
La Cour de cassation casse l'arrêt de la Cour d'appel. Elle reprend la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne sur la question.
Ainsi en principe, sont compétentes, les juridictions du domicile du demandeur au titre de la matérialisation du dommage, notamment lorsque ledit dommage se réalise directement sur un compte bancaire de ce demandeur auprès d'une banque établie dans le ressort de ces juridictions (CJUE, 28 janv. 2015, aff. C-375/13)
Ainsi la décision de la Cour d'appel retenant comme lieu de matérialisation du dommage le lieu l'appropriation indue des fonds par le débit du compte destinataire du virement ne pouvait pas prospérer.
Cependant la matérialisation du dommage au domicile du demandeur n'est pas suffisante et doit être confortée par d'autres circonstances particulières concourent également à attribuer une compétence auxdites juridictions (CJUE, 12 septembre 2018, aff. C-304/17)
Ainsi dans l'arrêt (CJUE, 16 juin 2016, aff. C-12/15) citée par la Cour de cassation, la CJUE a pu décider que "ne saurait être considéré comme « lieu où le fait dommageable s’est produit », en l’absence d’autres points de rattachement, le lieu situé dans un État membre où un préjudice est survenu, lorsque ce préjudice consiste exclusivement en une perte financière qui se matérialise directement sur le compte bancaire du demandeur et qui résulte directement d’un acte illicite commis dans un autre État membre".
Concrètement, lors d'un préjudice purement financier l'option de compétence en matière délictuelle prévue à l'article 7-2 du Règlement de Bruxelles I bis désigne compétentes les juridictions du domicile du demandeur à condition que cette compétence soit confortée par d’autres éléments.
Ainsi, la Cour de cassation reproche à la Cour d'appel de n'avoir pas rechercher si des circonstances particulières de l'affaire ne concouraient pas à attribuer la compétence à une autre juridiction que celle du lieu de matérialisation de ce préjudice.
Pour exclure la compétence au titre de la matérialisation du préjudice au lieu du domicile du demandeur, la Cour d'appel aurait du relever les circonstances particulières de l'espèce qui infirmaient ou confortaient la compétence des juridictions françaises, ce qu'elle n'a pas fait.
Or, la Cour de cassation relève qu'outre que la matérialisation du dommage au domicile du demandeur, la Cour d'appel a relevé que le préjudice purement financier s'était réalisé directement sur un compte bancaire de la société Immobilière 3F ouvert en France, à la suite d'un virement ordonné pour le paiement d'un cocontractant français dont il était allégué qu'un tiers avait usurpé la qualité.
Par conséquent, la Cour d'appel ne justifie pas d'autres circonstances pour évincer la compétence des juridictions françaises.
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