Civ. 1, 16 septembre 2020, n°18-20.023
Le 28 avril 1998, M. T... a acquis les actions de la société anonyme Villa Gal (la SAVG) pour un prix de 80 millions de francs. Les 8 juin et 3 juillet 1998, la SAVG a reconnu avoir emprunté à la société Oakland Finance une somme de 50 millions de francs. Par acte du 23 août 2000, cette somme a été portée à 60 millions. Deux hypothèques conventionnelles ont été prises en garantie les 22 juillet 1998 et 8 septembre 2000 par la société Oakland Finance sur l’immeuble de la SAVG. Le 17 avril 2002, la société Oakland Finance a été placée en liquidation.
SAVG assigne le liquidateur de la société Oakland Finance devant le tribunal de grande instance de Nice pour obtenir la nullité des contrats de prêts et la mainlevée des hypothèques en soutenant que les prêts étaient dépourvus de cause. K... V... , trustee et représentant légal de la société EGA, est intervenu volontairement à l’instance.
Le 10 décembre 2007, le tribunal de grande instance de Nice rejette la demande en nullité des contrats et dit qu'ils reposaient sur une cause réelle et licite.
Entre temps, la SAVG et M. T... ont saisi la High Court of Justice of London (la High Court) pour faire dire que les prêts litigieux étaient supposés rembourser une dette contractée par la société SAVG envers la société EGA, dette ensuite cédée à la société Oakland Finance,
Le 19 novembre 2010 la High Court après avoir retenu qu’aucune somme n’était due par la SAVG à la société Oakland Finance.
Le greffier en chef d'un tribunal de grande instance a déclaré exécutoire en France la décision rendue le 19 novembre 2010 par la High Court of Justice of London.
Mme R... , héritière de K... V... , , trustee et représentant légal de la société EGA, a demandé la révocation de cette déclaration.
La Cour d'appel d'Aix en Provence rejette la contestation du certificat de reconnaissance en France de la décision de la High Court du 19 novembre 2010, confirme sa reconnaissance en France et dit que ce jugement produira en France tous ses effets.
Selon la Cour d'appel, il n'y a pas d'inconciliabilité entre le jugement du TGI de Nice et la décision de la High court. En effet, selon la Cour d'Aix, le procès français portait sur la validité de l’acte d’affectation hypothécaire, engagement réel soumis aux juridictions françaises, et a consacré le principe de l’existence des contrats de prêts en cause tandis que le procès anglais portait sur le principe de l’exigibilité de la créance et que le juge anglais s’est prononcé sur une demande de condamnation en paiement, de sorte que les demandes n’avaient pas le même objet et ne pouvaient donc entraîner des conséquences s’excluant mutuellement puisque les deux juridictions ne se sont pas prononcées sur les mêmes questions et leur exécution simultanée est possible.
Au visa de l’article 34, 3), du règlement CE nº 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 (Bruxelles I) , la Cour de cassation casse sans renvoi l'arrêt de la Cour d'appel.
Si le règlement de Bruxelles I prévoit une reconnaissance de plein droit des décisions issues des tribunaux d’États membres de l'Union européenne, c'est à certaines conditions. L'article 34,3) réserve l’inconciliabilité entre la décision à reconnaitre et une décision rendue dans l’État requis.
La Cour de cassation rappelle que la Cour de justice des Communautés européennes a précisé qu’afin d’établir s’il y a inconciliabilité au sens de ce texte, il convenait de rechercher si les décisions en cause entraînaient des conséquences juridiques qui s’excluaient mutuellement (CJCE Hoffmann c. Krieg 4 février 1988 C 145/86, point 22).
Qu'en l'espèce, il y avait bien inconciliabilité entre la décision anglaise qui a retenu qu’aucune somme n’était due par la SAVG à la société Oakland Finance et la décision française qui valide les contrats de prêts entre ces deux mêmes sociétés et constate bien une créance au bénéfice de la société Oakland Finance .
La décision anglaise étant inconciliable avec la décision française ne peut produire effet en France. Il importe peu que les deux instances aient des objets différents, il suffit que les décisions en cause entraînent des conséquences juridiques qui s’excluent mutuellement.
Comments