Civ. 1, 5 février 2025, n° 22-22.729
Mme [P] et M. [F], tous deux de nationalités française et marocaine, se sont mariés le 4 octobre 2004 au Maroc.
Les deux époux viennent se domicilier en France.
Le 24 septembre 2021, M. [F] dépose une requête en divorce au Maroc.
Le 11 octobre 2021 Mme [P] assigne en divorce en France M. [F]
Ce dernier soulève devant le juge français une exception de litispendance.
S’appliquait en l’espèce la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative au statut des personnes et de la famille et à la coopération judiciaire
Cette dernière prévoit dans son article 11 que :
" Au sens de l'alinéa a) de l'article 16 de la Convention d'aide mutuelle judiciaire et d'exequatur des jugements du 5 octobre 1957, la dissolution du mariage peut être prononcée par les juridictions de celui des deux Etats sur le territoire duquel les époux ont leur domicile commun ou avaient leur dernier domicile commun.
Toutefois, au cas où les époux ont tous deux la nationalité de l'un des deux Etats, les juridictions de cet Etat peuvent être également compétentes, quel que soit le domicile des époux au moment de l'introduction de l'action judiciaire.
Si une action judiciaire a été introduite devant une juridiction de l'un des deux Etats, et si une nouvelle action entre les mêmes parties et ayant le même objet est portée devant le tribunal de l'autre Etat, la juridiction saisie en second lieu doit surseoir à statuer.
Pour autant les juges du fond français rejettent l’exception de litispendance au motif que le juge marocain n'était pas compétent par application de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981. La Cour d’appel constate que les deux époux ont la double nationalité franco-marocaine et leur dernier domicile commun en France. Elle considère alors, que la juridiction française est seule compétente pour connaître de leur divorce ".
A quelle condition peut-on reconnaitre la litispendance internationale ?
Si le juge français était compétent en application de l’article 3 du Règlement n° 2201/2003 de Bruxelles II bis, pour autant, l’article 19 qui prévoit le cas de la litispendance n’était pas applicable. En effet il ne joue que si deux Etats membres de l’Union européenne sont saisis, ce qui n’était pas le cas en l’espèce.
Selon la jurisprudence, l’exception de litispendance peut cependant être reçue devant le juge français, en vertu du droit commun français, en raison d'une instance engagée devant un tribunal étranger également compètent, mais ne saurait être accueillie, lorsque la décision a intervenir à l'étranger n'est pas susceptible d'être reconnue en France (arrêt Société Miniera di Fragne, hors règle spécifique, 1re Civ., 26 novembre 1974, pourvoi n° 73-13.820.
Ainsi en droit commun, la décision à intervenir à l’étranger doit être susceptible d’être reconnue en France.
Depuis l’arrêt Cornelissen, trois conditions de régularité sont exigées pour reconnaitre un jugement étranger :
La compétence internationale indirecte du juge étranger
L’absence de contrariété à l’ordre public
L’absence de fraude.
Or, en l’espèce, ce n’était ni le règlement de Bruxelles II bis, ni le droit commun qui s’appliquait mais la Convention Franco-marocaine.
La question se posait de savoir si dans le cadre de la Convention Franco Marocaine, la litispendance est subordonnée aux conditions de régularité des jugements ?
Comme le souligne l’avocat général faut-il « transposer, dans le cadre de cette exception de litispendance conventionnelle, les conditions dégagées en jurisprudence pour l’exception de litispendance internationale de droit commun ? »
La Cour de cassation répond positivement au visa de l’article 11 de la Convention franco-marocaine de 1981.
« L'accueil de l'exception conventionnelle de litispendance internationale prévue au troisième alinéa de ce texte n'est exclu que si la décision à intervenir du juge marocain, également compétent et préalablement saisi, n'est pas susceptible d'être reconnue en France. Au nombre des conditions de cette reconnaissance, que le juge français doit vérifier avant de surseoir à statuer, figure la compétence indirecte du juge marocain, telle qu'elle est définie aux premier et deuxième alinéas de ce texte ».
En effet, l’article 11 de la convention franco-marocaine de 1981 vise l’article 16-a de la Convention franco-marocaine d'aide mutuelle judiciaire et d'exequatur des jugements du 5 octobre 1957 qui concerne l’exequatur et plus particulièrement la condition de la compétence internationale indirecte du juge.
Se pose alors une autre question. Les deux époux ont tous deux la nationalité française et la nationalité marocaine.
Comme s’interroge l’avocat général : « La compétence indirecte du juge marocain peut- elle être fondée sur la nationalité marocaine commune des époux, alors qu’ils ont également tous deux la nationalité française ? »
La convention franco-marocaine est muette sur cette question.
Traditionnellement, la jurisprudence a considéré dans l’hypothèse où une personne a la double nationalité, dont la nationalité française seule cette dernière pouvait être pris en compte par les juridictions française (Civ. 1, 17 juin 1968, Kasapyan). La jurisprudence privilégie la nationalité française.
Cette prééminence de la nationalité française n’a pas lieu de jouer si les nationalités en cause sont des nationalités d’Etats membres de l’Union européenne (CJUE, 16 juill. 2009, aff. C-168/08, divorce d’époux tous deux de nationalité franco-hongroise)
Qu’en est-il dans le cadre de la convention franco-marocaine ? Le juge français doit-il tenir compte de la seule nationalité française, et considérer que le juge marocain est incompétent, ou doit-il tenir compte des deux nationalités sans privilégier l’une par rapport à l’autre ?
La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel en ce qu’elle a considéré que le juge marocain n’était pas compétent en application de la Convention franco-marocaine.
Elle précise que la « compétence indirecte est établie lorsque les époux ont tous deux la nationalité marocaine, peu important qu'ils aient également la nationalité française, dès lors que le principe suivant lequel, en cas de cumul de nationalités, la nationalité française est seule prise en considération par les tribunaux français, n'a pas lieu d'être appliqué dans l'examen de la compétence indirecte du juge étranger »
Ainsi, la Cour de cassation ne privilégie pas la nationalité française en cas de double nationalité des époux.
Quelle portée donner à cet arrêt ? Doit-on considérer que c’est un revirement par rapport à l’arrêt Kasapyan ou doit-il être compris que dans le seul cadre de la convention Franco marocaine ?
Le visa de la Cour de cassation se limite à l’article 11 de la Convention Franco-marocaine.
Pour autant, la Cour de cassation semble étendre l’absence de privilège de la nationalité française dans le cadre générale de la compétence indirecte du juge étranger.
Serait-elle donc encore applicable dans le cadre de la compétence directe et du conflit de lois ?
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