Civ. 1, 2 octobre 2024, n° 22-20.883
La Cour de cassation a rendu deux arrêts le 2 octobre 2024 concernant l’exequatur de décisions étrangères relatives à des gestations pour autrui effectuées à l’étranger.
Ces deux arrêts font l’objet d’un communiqué de la Cour de cassation.
La décision qui retient notre attention ici vise les exigences de motivation de la décision étrangère nécessaires pour que le juge de l’exequatur puisse vérifier les conditions de régularité.
Une décision canadienne du 24 juin 2014 déclare que MM. [F] et [W] sont reconnus légalement comme étant les pères des deux enfants [I] et [E] [F]-[W], nés le 21 mai 2014 en province de l'Ontario (Canada).
Les parents d’intention demandent l’exequatur en France de la décision canadienne.
Il est important de préciser que cette espèce ne concernait pas la transcription de l’acte d’état civil des enfants en France mais bien la régularité d’une décision étrangère établissant la filiation des parents d’intention.
La Cour d’appel a refusé l’exequatur : elle a estimé que le jugement canadien n’était pas suffisamment motivé et qu’il était donc contraire à l’ordre public international français.
En effet, si l’absence de motivation n’est pas en soi contraire à l’ordre public international, la jurisprudence exige cependant que soient produits des documents de nature à servir d'équivalent à la motivation défaillante.
Les parents d’intention forment un pourvoi en cassation.
Pour produire des effets, et en dehors de tout règlement européen et convention internationale applicables, la décision étrangère doit remplir trois conditions de régularité :
Cornelissen, Civ. 1, 20 février 2007, n°05-14.082
« Pour accorder l’exequatur à un jugement étranger, le juge français doit, en l’absence de convention internationale, s’assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l’ordre public international de fond et de procédure ainsi que l’absence de fraude »
En effet, le projet de convention de la Haye sur la filiation et la gestation pour autrui est loin d’aboutir, même s’il est en discussion (https://www.hcch.net/fr/projects/legislative-projects/parentage-surrogacy ).
Dans notre espèce, la condition de régularité concernait la conformité à l’ordre public international de procédure.
La Cour de cassation rejette le pourvoi et considère que la décision canadienne est contraire à l’ordre public international pour insuffisance de motivation.
Concernant l'exequatur d'une décision établissant la filiation d'un enfant né d'une gestation pour autrui réalisée à l'étranger, « l'existence d'une motivation s'apprécie au regard, d'une part, des risques de vulnérabilité des parties à la convention de gestation pour autrui et des dangers inhérents à ces pratiques, et, d'autre part, du droit de l'enfant et de l'ensemble des personnes impliquées au respect de leur vie privée garanti par l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, l'intérêt supérieur de l'enfant, protégé par l'article 3, § 1, de la Convention de New York du 20 novembre 1989 relative aux droits de l'enfant, constituant une considération primordiale ».
Elle précise que le « juge de l'exequatur doit être en mesure, à travers la motivation de la décision ou les documents de nature à servir d'équivalent qui lui sont fournis, d'identifier la qualité des personnes mentionnées qui ont participé au projet parental d'autrui et de s'assurer qu'il a été constaté que les parties à la convention de gestation pour autrui, en premier lieu la mère porteuse, ont consenti à cette convention, dans ses modalités comme dans ses effets sur leurs droits parentaux ».
« En l’espèce le jugement étranger ne précisait pas les qualités des différentes personnes qui y étaient mentionnées ni, le cas échéant, leur consentement à une renonciation à leurs éventuels droits parentaux, la cour d'appel a justement retenu que la motivation de cette décision était défaillante ».
Ainsi, la Cour de cassation précise les éléments de motivation nécessaires pour apprécier la motivation d’une décision étrangère établissant la filiation des parents d’intention dans le cadre de la GPA.
La Cour de cassation va même plus loin dans son communiqué.
Elle indique que la motivation sur laquelle repose la décision de justice étrangère doit permettre de vérifier :
- la qualité des personnes mentionnées dans le jugement ou dans les pièces annexes relatives au projet parental ;
- le consentement des parties à la convention de GPA ;
- le consentement de ces parties, et en particulier celui de la mère porteuse, aux effets que produira la convention de GPA sur la filiation de l’enfant.
Reste la question encore entière de la conformité à l’ordre public international de fond d’une GPA effectuée à l’étranger par des Français.
La GPA est contraire à l’ordre public interne selon l’article 16-17 du Code civil. Qu’en est-il de la conformité à l’ordre public international d’une GPA effectuée à l’étranger ?
La Cour de cassation ne répond pas à cette question mais on peut se demander si elle n’y répond pas indirectement.
En effet, l’exigence de motivation de la décision étrangère doit permettre de vérifier le consentement des parties à la convention de GPA. Si ces consentements sont éclairés, dans les modalités comme dans les effets sur les droits parentaux qu’engendrent la convention de GPA et si celle-ci respecte la vie privée et l’intérêt supérieur de l’enfant alors la GPA effectuée à l’étranger ne sera-t-elle pas considérée comme conforme à l’ordre public international de fond ?
Il faut cependant attendre une jurisprudence claire et attendue sur ce point.
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