Civ. 1, 23 mars 2022, n° 21-12.952
Le 5 novembre 2004, à Los Angeles, Mme [Y], de nationalité suédoise, a donné naissance à l'enfant [H]. Le 16 décembre 2006, elle a épousé M. [L], de nationalité française, qui, par acte du 23 décembre 2010 reçu par l'officier de l'état civil monégasque, a déclaré reconnaître [H].
Le divorce des époux a été prononcé le 6 février 2016 par la cour supérieure de l'Etat de Californie pour le comté de Los Angeles.
Le 19 mai 2017, Mme [Y] a assigné M. [L] en contestation de la reconnaissance de paternité.
La Cour d'appel déclare la demande irrecevable, l'action en contestation étant prescrite en application de la loi française.
L'action en contestation de reconnaissance relève de l'article 311-17 du Code civil. Cet article prévoit un règle à coloration matérielle à rattachements alternatifs lorsqu'il s'agit d'étudier la validité de la reconnaissance. Elle a été élaborée en faveur de la reconnaissance.
Mais lorsqu'il s'agit de contestation, alors la jurisprudence a considéré que les rattachements devenaient cumulatifs, c'est à dire que la contestation de la reconnaissance doit être possible non seulement selon la loi nationale de l'enfant mais également selon la loi nationale de l'auteur de la reconnaissance (Civ. 1, 15 mai 2019, pourvoi n° 18-12.602, analyse sur notre site).
L'auteur de la reconnaissance est français, l'enfant est suédois. Il fallait donc pour que la contestation soit possible qu'elle le soit selon la loi française et la loi suédoise.
Selon l'article 333 du Code civil l'action se prescrit par cinq ans à compter du jour où la possession d'état a cessé ou du décès du parent dont le lien de filiation est contesté.
La question était alors de savoir si la possession d'état devait s'apprécier selon l'article 311-15 du Code civil ou selon les règles substantielles de la filiation.
En effet, selon l'article 311-15 du Code civil :
Toutefois, si l'enfant et ses père et mère ou l'un d'eux ont en France leur résidence habituelle, commune ou séparée, la possession d'état produit toutes les conséquences qui en découlent selon la loi française, lors même que les autres éléments de la filiation auraient pu dépendre d'une loi étrangère.
Or, selon la demanderesse au pourvoi, ne pouvait être invoquée la possession d'état selon l'article 311-15 du Code civil car ni l'enfant, ni ses père et mère ne résidaient en France.
Une question se posait. Celle de savoir si l’article 311-15 du Code civil était une exception au seul article 311-14 du Code civil (si l’on suit la numérotation du Code) ou une exception générale à toutes les règles de conflits en matière de filiation ? La doctrine prônait pour une interprétation extensive, la jurisprudence ne s’étant jamais prononcée sur la question.
Pour la première fois, la Cour de cassation répond à cette question et, contrairement à la doctrine majoritaire, couple l'article 311-15 avec le seul article 311-14 du Code civil à l'exclusion donc de l'article 311-17 du Code civil
L'article 311-17 édicte une règle spéciale de conflit de lois prévalant sur la règle générale prévue par l'article 311-14 et qu'il n'y a pas lieu de se référer aux conditions fixées par l'article 311-15 pour voir se produire les effets que la loi française attachait à l'existence ou à l'absence de possession d'état, ce texte n'ayant vocation à jouer que si, en vertu de l'article 311-14, la filiation était régie par une loi étrangère.
Ainsi, l'article 311-15 du Code civil n'aura jamais vocation à s'appliquer lorsque la loi étrangère applicable est désignée par l'article 311-17 du Code civil en matière de reconnaissance.
Pour autant, peu importe que l'enfant et ses parents ne résident pas en France, puisque la loi française s'appliquait en tant que loi nationale de l''auteur de la reconnaissance. La Cour de cassation en déduit alors que la recevabilité de l'action devait être examinée au regard de la loi française.
Ainsi, par application de l'article 333 du code civil, l'action en contestation de paternité engagée par Mme [Y], en sa qualité de représentante légale de l'enfant, était irrecevable, nonobstant le fait que ni l'enfant ni aucun de ses parents n'avait sa résidence habituelle en France puisque l'enfant avait bénéficié à l'égard de son père d'une possession d'état de plus de cinq ans depuis la reconnaissance.
Aussi peu importe que la loi suédoise, loi nationale de l'enfant, permette la contestation de la reconnaissance puisque la loi française ne la permet pas. L'application cumulative des deux lois exclut alors toute contestation possible de la reconnaissance.
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