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Droit international privé

Actualité, Analyse et commentaire proposés par

Hélène Péroz

Professeure agrégée en droit privé et sciences criminelles à la faculté de droit de l'Université de Nantes

Of counsel  dans le cabinet d'avocats BMP et associés

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Juridiction compétente pour autoriser la vente d’un bien appartenant à un mineur.

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    heleneperoz
  • il y a 3 jours
  • 7 min de lecture

CJUE 6 mars 2025, Affaire C-395/23



Deux enfants mineurs de nationalité russe résident en Allemagne. Ils héritent de leur père décédé de parts sur trois biens immobiliers situés en Bulgarie.


Les juridictions bulgares sont saisies d’une demande d’autorisation de vendre les parts détenus par les mineurs sur les biens immobiliers.


En effet, le droit bulgare, comme le droit français (art. 387-1 du Code civil), la vente de biens immobiliers appartenant à un enfant doit être autorisée par un juge. 

 

La question se posait de savoir si le juge Bulgare du lieu de situation des biens immobiliers était compétent.


Se pose donc la question de la qualification de la demande d’autorisation de vente d’un immeuble au nom d’un enfant mineur.


Le juge bulgare se demande si la question relève de la matière civile et commerciale puisqu’il s’agit d’une vente et donc du règlement Bruxelles I Bis ou si elle relève de la responsabilité parentale et donc du Règlement Bruxelles II ter.

La question a de forte incidence pratique.


Si c’est le règlement Bruxelles I bis qui s’applique serait alors compétent le juge bulgare du lieu de situation de l’immeuble (art. 24-1 règl).

Si c’est le règlement de Bruxelles II ter qui s’applique alors serait compétent le juge allemand de la résidence habituelle de l’enfant (art. 7 règl.) en l’absence de choix de la juridiction (art. 10 règl.).


Le règlement Bruxelles I bis exclu dans son article 1-2-a) l’état et la capacité des personnes physiques, Alors que le règlement de Bruxelles II ter régit e) les mesures de protection d’un enfant liées à l’administration, à la conservation ou à la disposition de ses biens (art. 1-2-e) règl).


C’est donc sans surprise et fort justement que la Cour de justice affirme que la question relève de la responsabilité parentale et donc du Règlement Bruxelles II ter.

 

le règlement Bruxelles II ter doit être interprété en ce sens que l’autorisation judiciaire, sollicitée pour le compte d’un enfant mineur résidant habituellement dans un État membre, de vendre les parts que cet enfant détient dans des biens immobiliers situés dans un autre État membre relève de la matière de la responsabilité parentale, au sens de l’article 1er, paragraphe 1, sous b), de ce règlement, en ce que celle-ci concerne les mesures de protection visées au paragraphe 2, sous e), de cet article, de sorte que, en vertu de l’article 7, paragraphe 1, dudit règlement, ce sont les juridictions de l’État membre dans lequel l’enfant réside habituellement au moment où la juridiction est saisie qui sont, en principe, compétentes pour délivrer une telle autorisation.


Sont donc en principe compétentes les juridictions allemandes du lieu de résidence habituelle du mineur.


On se souvient de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne du 19 avril 2018 qui avait fait application du règlement de Bruxelles II ter à la demande d’autorisation judiciaire à la renonciation à une succession pour le compte d’un mineur. En effet, cette demande relevait de la responsabilité parentale. Ne s’appliquait donc pas le règlement n°650/2012 Succession à la demande d’autorisation.


Cour de Justice de l’Union Européenne en date du 19 avril 2018 (C-565/16)




Par conséquent les juridictions allemandes du lieu de résidence habituelle des enfants mineurs sont compétentes pour accorder l’autorisation de vente, à supposé que la loi allemande prévoit une telle autorisation en application de la convention de La Haye du 19 octobre 1996 concernant la compétence, la loi applicable, la reconnaissance, l’exécution et la coopération en matière de responsabilité parentale et de mesures de protection des enfants

 

Cependant, les juridictions Bulgares du lieu de situation de l'immeuble pourraient être compétentes en application de l’article 10 du Règlement Bruxelles II ter. Ce dernier prévoit la possibilité de choisir la juridiction compétente.


Article 10

Choix de la juridiction

1. Les juridictions d’un État membre sont compétentes en matière de responsabilité parentale lorsque les conditions suivantes sont réunies:

a) l’enfant a un lien étroit avec cet État membre du fait, en particulier, que:

i) au moins un des titulaires de la responsabilité parentale y a sa résidence habituelle,

ii) cet état membre est l’ancienne résidence habituelle de l’enfant, ou

iii) l’enfant est ressortissant de cet État membre;

b) les parties ainsi que tout autre titulaire de la responsabilité parentale:

i) se sont librement accordés sur la compétence, au plus tard au moment où la juridiction est saisie, ou

ii) ont expressément accepté la compétence au cours de la procédure et la juridiction s’est assurée que toutes les parties ont été informées de leur droit de ne pas accepter sa compétence; et

c) l’exercice de la compétence est dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

En l’espèce la mère a saisi les juridictions Bulgares. Se pose la question de savoir si les enfants ont un lien étroit avec la Bulgarie.  Ils sont de nationalité russe et résident en Allemagne.


Le lieu de situation de l’immeuble est-il un lien suffisant ? En effet les points i) à iii) de l’article 10-1-a) ne sont pas limitatifs comme le terme « en particulier » le sous tend, ce que confirme notre arrêt en son point 54.


54 Selon le point a) de cette disposition, l’enfant concerné doit avoir un lien étroit avec cet État membre, étant précisé que, du fait de l’expression « en particulier », l’énumération des trois cas de figure à ce point a) n’a pas un caractère exhaustif, l’existence d’un lien étroit pouvant donc également être constatée sur la base d’un autre élément qui est pertinent dans le cadre de la procédure pour laquelle l’élection de for prévue à l’article 10 du règlement Bruxelles II ter est recherchée et qui génère un lien concret et important entre ledit État membre et les intérêts personnels de cet enfant.

 

Bien que les enfants ne soient pas de nationalité Bulgare, la CJUE n’exclut pas que les enfants aient un lien étroit avec la Bulgarie du fait du lieu de situation de l’immeuble comme le relève le point 57 de l’arrêt :

 

57 La juridiction de renvoi pourrait, dès lors, se reconnaître compétente en vertu du règlement Bruxelles II ter pourvu qu’elle s’assure, premièrement, qu’il existe, dans le cadre de la procédure introduite devant elle, un lien concret et important entre la République de Bulgarie et les intérêts personnels de l’enfant concernée, comme cela pourrait être le cas du fait que cet enfant détient des parts dans des biens immobiliers situés sur le territoire de cet État membre, deuxièmement, que, compte tenu de l’absence de partie défenderesse dans une procédure gracieuse telle que celle au principal, la mère de l’enfant mineure, en tant qu’unique titulaire de la responsabilité parentale, accepte expressément, au cours de la procédure, la compétence de ladite juridiction après avoir été informée de son droit de ne pas l’accepter et, troisièmement, que cette compétence est exercée dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

 

Pour autant, elle exclut l'application de l'article 10 du règlement Bruxelles II ter du fait de l’existence d’un traité entre la Bulgarie et la Russie qui était applicable en l’espèce.

 

En effet, un traité est applicable entre la République populaire de Bulgarie et l’Union des républiques socialistes soviétiques relatif à l’entraide judiciaire en matière civile, familiale et pénale. Il a été conclu avant l’adhésion de la République de Bulgarie à l’Union européenne.


Or, en l’espèce, ce traité donne compétence aux juridictions Bulgares du lieu de situation de l’immeuble (conclusions de l’avocat général Jean Richard de la Tour du 28 novembre 2024)




Les juridictions Bulgares se posent la question l'application du traité Russo-bulgare et de sa comptabilité avec le Règlement Bruxelles II ter.

 

En effet le traité Russo-bulgare n’est pas visé au CHAPITRE VIII « RELATIONS AVEC D’AUTRES INSTRUMENTS » du Règlement Bruxelles II ter.


Contrairement à d’autres règlement européens, le règlement de Bruxelles II ter ne prévoit pas de règles générales en cas de conflit entre une règlement et un traité international.

 

Ainsi, par exemple, le règlement n°650/20125 dit Succession prévoit :  


Article 75

Relations avec les conventions internationales existantes

1. Le présent règlement n'affecte pas l'application des conventions internationales auxquelles un ou plusieurs États membres sont parties lors de l'adoption du présent règlement et qui portent sur des matières régies par le présent règlement.


C’est sur le fondement de cet article que la Cour de justice a fait prévaloir un traité conclu entre la Pologne et l’Ukraine sur le Règlement n°650/2012 qui a eu pour conséquence d’empêcher un ukrainien résident en Pologne de choisir sa loi nationale applicable à sa succession.

 

CJUE, 12 octobre 2023, OP, aff. C-21/22


 

 

Dans notre arrêt, la question se posait donc de savoir si c’est le règlement Bruxelles II ter qui devait s’appliquer en l’espèce ou le traité conclu entre la Bulgarie et la Russie ?


Selon le considérant 91 du Règlement de Bruxelles II ter :  Il est rappelé que, pour les accords conclus par un État membre avec un ou plusieurs États tiers avant la date de son adhésion à l’Union, l’article 351 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne s’applique.

 

Article 351 TFU (ex-article 307 TCE)

Les droits et obligations résultant de conventions conclues antérieurement au 1er janvier 1958 ou, pour les États adhérents, antérieurement à la date de leur adhésion, entre un ou plusieurs États membres, d'une part, et un ou plusieurs États tiers, d'autre part, ne sont pas affectés par les dispositions des traités.

Dans la mesure où ces conventions ne sont pas compatibles avec les traités, le ou les États membres en cause recourent à tous les moyens appropriés pour éliminer les incompatibilités constatées…

 

En l'espèce, la CJUE exclut l’application du règlement Bruxelles II ter en faveur de l’application du traité Russo-bulgare (point 60):


Ainsi, la juridiction de renvoi ne doit pas recourir à la possibilité, visée au point 57 du présent arrêt, de se reconnaître compétente en vertu de l’article 10, paragraphe 1, sous a), sous b), ii), et sous c), du règlement Bruxelles II ter, au lieu d’appliquer la règle de compétence générale énoncée à l’article 7, paragraphe 1, de ce règlement, dans le but de concilier le droit de l’Union avec le traité russo-bulgare et de constater, par ce biais, que, dans les circonstances du litige au principal, ledit traité est compatible avec le droit de l’Union en ce que l’un et l’autre prévoient le même for compétent dans le cadre de ce litige.

 

 
 
 

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