Civ. 1, 11 décembre 2024, n°23-15672
La Cour de cassation vise les exigences de motivation d’une décision étrangère d’adoption nécessaires pour que le juge de l’exequatur puisse vérifier les conditions de régularité.
On ne peut que faire le parallèle de notre arrêt avec celui du 2 octobre 2024 sur l’exigence de motivation d’une décision étrangère relative à un GPA pratiquée dans un autre pays
Surtout, on peut se demander si nous ne sommes pas à la veille d’une évolution plus générale de la réception des jugements étrangers en France. En effet, la Cour de cassation, sous couvert de motivation de la décision étrangère semble réinstaurer la révision au fond de la décision étrangère, condition de régularité abandonné par la jurisprudence en 1964.
Le doute est légitime car cet arrêt, comme celui du 2 octobre 2024 fera l’objet d’une publication dans le rapport de la Cour de cassation. Sont aussi publiés le rapport du conseiller et de l’avocat général
Rapport du conseiller
Avis de l’avocat général
Les faits sont simples
Un jugement américain a prononcé l’adoption d’un enfant mineur à l’égard de M. K.
Ce dernier demande l’exequatur en France de la décision américaine.
La Cour d’appel rejette sa demande en exequatur au motif que la décision étrangère n’était pas motivée et donc contraire à l’ordre public. En l’espèce, la Cour d’appel retient que le jugement américain n'évoque ni le consentement des représentants légaux dont l'identité n'est pas précisée, ni les conditions de recueil de l'enfant.
M.K forme un pourvoi en cassation.
Ce pourvoi est rejeté.
La Cour de cassation énonce classiquement qu’ « est contraire à la conception française de l'ordre public international la reconnaissance d'une décision étrangère non motivée lorsque ne sont pas produits des documents de nature à servir d'équivalent à la motivation défaillante ».
La solution est classique et relève de l’ordre public international procédural.
Mais la Cour de cassation va plus loin et énonce les éléments de faits exigés pour que la motivation d’un jugement d’adoption soit jugé suffisante.
Ainsi, elle précise qu’en « matière d'adoption, le juge de l'exequatur doit être en mesure, à travers la motivation de la décision ou les documents de nature à servir d'équivalent qui lui sont fournis, de connaître les circonstances de l'adoption et de s'assurer qu'il a été constaté que ses parents ou ses représentants légaux y ont consenti dans son principe comme dans ses effets ».
Dans l’’arrêt du 2 octobre 2024 concernant la GPA, la Cour de cassation exige que le « juge de l'exequatur doit être en mesure d'identifier la qualité des personnes mentionnées qui ont participé au projet parental d'autrui et de s'assurer qu'il a été constaté que les parties à la convention de gestation pour autrui, en premier lieu la mère porteuse, ont consenti à cette convention, dans ses modalités comme dans ses effets sur leurs droits parentaux ».
L’exigence de motivation d’un jugement étranger d’adoption se conçoit dans le cadre de la convention de La Haye du 29 mai 1993 sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale.
Cette convention prévoit des règles matérielles dans son article 4 pour les adoptions internationales.
Or, dans notre arrêt, la convention de 1993 n’est pas visée alors même qu’elle a été ratifiée par la France et les Etats-Unis, et qu’elle l’est par le conseiller à la Cour de cassation et l’avocat général.
Cela n’est pas anodin. La Cour de cassation semble vouloir donner une solution générale.
A ce titre, elle vise les conditions de régularité pour qu’un jugement étranger puisse produire des effets en France en l’absence de règles supra nationales.
Ces conditions ont été posées par l’arrêt Cornelissen.
Cornelissen, Civ. 1, 20 février 2007, n°05-14.082
« Pour accorder l’exequatur à un jugement étranger, le juge français doit, en l’absence de convention internationale, s’assurer que trois conditions sont remplies, à savoir la compétence indirecte du juge étranger fondée sur le rattachement du litige au juge saisi, la conformité à l’ordre public international de fond et de procédure ainsi que l’absence de fraude »
Pour autant, elle précise qu’il est interdit au juge de l’exequatur de réviser au fond le jugement. Cette précision inutile a donc son importance.
En effet, la révision au fond n’est plus une condition de régularité des jugements étrangers depuis l’arrêt Munzer de 1964
Civ. 1, 7 janvier 1964,
Or, l’avis de l’avocat général est sans ambigüité. Il considère que :
"Il est donc impératif que le juge de l’exequatur conserve un réel pouvoir de contrôle sur la conformité de la décision étrangère et, à cette fin, qu’il puisse opérer une révision à fin de contrôle, même en tenant compte d'éléments extérieurs au jugement".
Il oppose la révision au fond prohibée qui consiste à refaire le procès et plus particulièrement toutes les appréciations de fait et applications de droit qui ont permis de trancher le litige dans son aspect matériel sont exclues de l'examen et la révision aux fins de contrôle. La révision aux fins de contrôle permet l’appréciation des faits eux-mêmes et du droit, en tant qu'ils ont contribué à la résolution des questions d'ordre international couvertes par l'énumération des conditions de régularité » (avis page 18).
Cette même référence à la révision aux fins de contrôle a été également effectué dans le cadre de la motivation des décisions étrangères sur la GPA.
Les conditions de régularité faisaient l’objet de critique de la part de la doctrine car elles conduisaient à un contrôle quasi formel de la décision.
Ainsi, il faut considérer avec ces arrêts que la révision au fins de contrôle est une condition de la régularité du jugement étranger qui s’apprécie au travers de l’ordre public internationale procédurale.
Reste à connaitre et circonscrire l'étendue du contrôle pour ne pas tomber dans la révision au fond prohibée.
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