Conclusions de l'avocate générale J. KOKOTT
Affaire C‑490/20
V.М.А. contre Stolichna obshtina, rayon « Pancharevo »“ (Commune de Sofia, arrondissement de Pancharevo, Bulgarie)
V.M.A., la requérante au principal, est une ressortissante bulgare tandis que son épouse est une ressortissante du Royaume‑Uni née à Gibraltar, où les deux femmes se sont mariées en 2018. Depuis l’année 2015, elles résident en Espagne. En décembre 2019, elles ont eu une fille qui est née et qui réside, avec ses deux parents, également en Espagne. L’acte de naissance de cette fille, délivré par les autorités espagnoles, désigne la requérante au principal comme « mère A » et son épouse comme « mère » de l’enfant.
Le 29 janvier 2020, la requérante au principal a demandé à l’autorité compétente, à savoir la Stolichna obshtina (commune de Sofia, Bulgarie), de lui délivrer un acte de naissance pour sa fille, celui‑ci étant notamment nécessaire pour la délivrance d’un document d’identité bulgare.
Sa demande de délivrance d’un acte de naissance est rejetée par les autorités bulgares au motif, notamment, que l’inscription dans un acte de naissance de deux parents de sexe féminin est contraire à l’ordre public de la Bulgarie, qui n’autorise pas les mariages entre deux personnes de même sexe.
La question préjudicielle dont est saisie la CJUE est substantiellement la suivante :
Un État membre doit-il délivrer un acte de naissance sur lequel sont inscrites deux femmes en tant que mères, dont l’une est ressortissante de cet État membre, à un enfant né dans un autre État membre où un tel acte de naissance lui a été délivré ?
Les conclusions sont denses, nous ne retiendrons que quelques arguments.
La difficulté est que l'Union européenne n'a pas de compétence en matière de filiation, Cette question relève de la seule compétence des législations nationales.
C’ est ce que reconnait l'avocate générale lorsqu'elle souligne que "le droit de l’Union ne régit pas, en l’état actuel de son évolution, les règles relatives à l’établissement de l’état civil d’une personne et, plus particulièrement, à la filiation" (point 58).
Pour autant, une législation nationale sur la filiation peut remettre en cause des principes érigés par le droit l'Union européenne.
C'est par ce biais que va conclure l'avocate générale : "Mais ceci ne veut toutefois pas dire qu’une mesure nationale adoptée dans ce domaine (filiation et état civil) ne peut pas constituer une entrave aux droits et libertés fondamentales garantis par les traités" (point 58).
Ainsi, l'avocate générale va se référer à plusieurs textes issus de l'Union européenne pour rendre ses conclusions.
Elle considère que la décision bulgare de ne pas reconnaitre la filiation d'un enfant issu de deux mères constitue une entrave à l’article 21, paragraphe 1, TFUE " Tout citoyen de l'Union a le droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, sous réserve des limitations et conditions prévues par les traités et par les dispositions prises pour leur application".
Sur ce point l'avocate générale précise que les droits reconnus aux ressortissants des États membres par l’article 21, paragraphe 1 TFUE incluent celui de mener une vie familiale normale tant dans l’État membre d’accueil que dans l’État membre dont ils possèdent la nationalité, lors du retour dans cet État membre, en y bénéficiant de la présence, à leurs côtés, des membres de leur famille (point 60).
Elle considère également que le refus des autorités Bulgares se heurte à la directive 2004/38/CE du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres et du Règlement (UE) N°492/2011 du 5 avril 2011 relatif à la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union.
L'avocate générale conclut que "la République de Bulgarie ne peut refuser de reconnaître la filiation de l’enfant à l’égard de la requérante et son épouse aux seules fins de l’application du droit dérivé de l’Union relatif à la libre circulation des citoyens au motif que le droit bulgare ne prévoit ni l’institution du mariage entre personnes de même sexe, ni la maternité de l’épouse de la mère biologique d’un enfant" (point 115).
Ainsi, selon les conclusions les autorités bulgares devaient non seulement établir un document d'identité à l'enfant faisant mention des deux femmes en tant que parents, mais elles devaient également reconnaitre le lien de filiation de l'enfant envers ces deux mères.
Il nous faut donc attendre la décision de la Cour de justice de l'Union européenne sur cette délicate question. Il sera intéressant de comparer la future décision de la Cour de justice de l'Union européenne avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.
L'argumentaire de l'avocat général me semble à mon avis, un peu tiré par les cheveux. Un fait demeure: les États sont souverains en matière d'ediction des règles relatives à l'état des personnes, en l'occurrence la filiation. Arguer de l'atteinte à la liberté de circulation ou de la vie privée familiale, je ne pense pas que le juge européen serait réceptif à un tel argument... Gageons qu'il en soit le cas ! Autrement dit, c'est l'intérêt de l'enfant qui risque d'être sacrifié